Israël hors d’Israël

de Never75


An 67 après JC. : Le rabbin Yoannan Ben Zakkai, prévoyant l’issue de la guerre contre les Romains, la fin de Jérusalem et la destruction du Temple, demande à rencontrer le général romain Vespasien chargé de ramener l’ordre. En échange d’un sauf-conduit pour lui-même et les siens il promet de quitter pour toujours les territoires romains et de ne pas fomenter de troubles.

Ces demandes raisonnables sont acceptées. Ben Zakkai et une centaines de ses disciples avec leurs familles, appartenant aux différents courants de la religion hébraïque (il y a même une dizaine de chrétiens) partent de nuit. Ils emportent avec leurs biens des copiés de la Torah, des Livres et des objets sacrés, ils quittent Jérusalem qu’ils savent condamnée pour se diriger vers l’Arabia Felix, mythique patrie de la reine de Saba.

.

Années 80-90 après JC. : Au terme d’un long et épuisant voyage Ben Zakkai et les siens arrivent Arabie. Les privations ont décimées le petit groupe qui n’avait que la foi pour les soutenir. Durant leur trajet ils eurent parfois l’occasion de parler avec des marchands qui leur racontaient les évènements récents. C’est ainsi qu’ils apprirent la destruction de Jérusalem, l’incendie du Temple et la triste fin de Massada. Ils surent que leurs frères rebelles furent tués, crucifiés, exécutés, réduits esclavage, parfois contraints de devenir gladiateurs. Ces nouvelles tragiques confortèrent les exilés dans leur confiance en Ben Zakkai et dans leur conscience de leur Destin car YHWH l’a voulu ainsi.

Durant ces dix ans de pérégrinations dans le désert Ben Zakkai et les siens voyagèrent, étudièrent la Torah et l’interprétèrent, et quand il n’y a que cela à faire les divergences ne sont pas rares. Venant de courants les plus divers les interprétations de la Loi et de son application se rencontrèrent, menaçant plus d’une fois de déchirer le groupe.

Leur problème le plus grand restait le même depuis leur fuite de Jérusalem : quel sens donner à l’histoire de leur peuple ? Quelle raison d’être pour Israël ? Comment YHWH avait pu les abandonner entre les mains des païens romains et laissé profaner le Temple de Salomon et disperse son trésor ?

Les disciples issus du groupe des Pharisiens pensaient que tout cela relevait d’un juste châtiment pour les juifs qui s’étaient depuis longtemps éloignés de la Loi, YHWH avait choisi les Romains, comme les Egyptiens, les Madianites, les Philistins, les Babyloniens et les Grecs par le passé, comme instruments de Sa punition. Et une fois que la génération pécheresse se serait éteinte, YHWH ferait retourner les élus, eux-mêmes, en Terre Sainte.

Mais ils n’auraient su dire combien de temps leur exil en terre étrangère durerait, certains avançaient cent ans, deux cent ans moins une année, ou même mille et une années.

Toujours est il que cette manière de penser était la plus répandue parmi les fuyards et que même Ben Zakkai y adhérait, mais d’autres étaient d’un autre avis.

Ainsi un petit groupe d’esséniens soutenaient que le monde entier était condamné pour son impiété, que la destruction de Jérusalem n’était qu’un début, bientôt viendrait le tour des autres cités de subir le feu et les flammes. Enfin les étoiles seraient précipitées dans la mer, engloutissant un quart de la Terre, de même pour le soleil et la lune avant qu’arrive la bataille finale entre les Fils de la Lumière et les Fils des Ténèbres. Au terme de cette bataille YHWH rétablira le royaume d’Israël et Jérusalem deviendra la capitale du monde.

Une telle vision eschatologique, assez brutale, n’attirait que les quelques esséniens du groupe. Aucuns autres juifs ne voulaient imaginer une fin du monde trop proche. Même si durant leur errance quelques évènements parurent accréditer la thèse d’une fin du monde prochaine. Un jour les exilés rencontrèrent une caravane où se trouvaient des juifs. Ils racontèrent que peu de temps après la destruction du Temple l’Italie avait subi un feu immense qui dormait sous une montagne, le feu et les flammes avaient jaillies subitement, engloutissant et détruisant bien trois cent villes avant de d’être apaisé. 

Même exagérées les paroles des marchands bédouins donnaient un certain poids aux idées esséniennes, ce qu’avait subi l’Italie était seulement un signe avant coureur du châtiment de Dieu.

Mais il y avait aussi les chrétiens, ceux-là prétendaient au contraire que la destruction de Jérusalem n’était autre que la punition des juifs pour n’avoir pas reconnu le Messie, le Christ Jésus. Ils soutenaient que ce Yeschoua Ben Yossef avait prédit la destruction du Temple et la fin d’Israël peu avant de mourir. Mais comme lui, selon ses fidèles, le Temple devait ressusciter trois jours après. Évidemment ces trois jours devaient être compris d’une manière symbolique. Les chrétiens s’accordaient pour dire que cette résurrection de Jérusalem n’arriverait pas tant que tous les juifs n’aient accepté Jésus comme le vrai Messie et le fils de YHWH.

De toutes ces théories les fuyards discutaient le soir auprès du feu au cours des interminables tours de garde. C’était de tout manière une façon comme une autre pour le petit groupe de se souvenir de son histoire et des vicissitudes qui les avaient amené là.

Évidement avec des idées aussi différentes et de longues heures pour en discuter le groupe risqua plusieurs fois de s’entretuer.

Parfois les décisions se prenaient de manières hasardeuses et le vent de la sécession soufflait sur le petit groupe, notamment de la part des chrétiens. Une fois les paroles cédèrent le pas à la violence physique, quand deux esséniens plus fervents que les autres tentèrent de convaincre (volontairement ou non) les autres d’organiser leur suicide collectif qui anticiperait à coup sûr la fin des Temps et le triomphe de YHWH. Cependant, malgré les incidents, l’autorité de Ben Zakkai restait indiscutée et respectée, empêchant par la diplomatie et la modération que quiconque ne fasse du mal à un autre. Sous les privations il maintenait une égalité parfaite et un partage juste. Le temps faisant, les différents groupes se mirent d’accord sur une doctrine propre et acceptée par tous, originale mais basée sur tous les courants représentés.

Ils décidèrent que ces préceptes devaient être écris, codifiés pour les générations futures.

Une telle rédaction mûrissait dans l’esprit de Ben Zakkai depuis longtemps et se renforça lorsqu’ils pénétrèrent en Arabie. Là les juifs purent s’installer de manière plus ou moins stable, ils entreprirent de travailler et de se mélanger avec les populations locales. Il fallait donc les empêcher de perdre leurs racines et de corrompre leur Foi.

Il commença donc, une fois installé dans une maison avec un de ses disciples et sa famille, à écrire le récit de leur pérégrinations dans le désert, n’omettant aucun détail, présentant leurs tribulations comme un signe de la Protection de YHWH accordée à son Peuple élu aux moments les plus désespérés.

Outre le récit du désert, Ben Zakkai, rapporta aussi les enseignements et les doctrines qui avaient mûri au cours des dix ans de leur Exode. 

La doctrine qui en émergea (sorte de somme de toutes les composantes de leur communauté fusionnées par la chaleur du désert) pouvait se résumer ainsi :

- Les juifs, comme en d’autres temps, s’étaient montrés indigne de l’alliance avec Dieu et avaient trahi sa confiance, YHWH leur envoya donc les Romains pour les punir, condamnant la majorité (parmi lesquels le groupe de ben Zakkai) à l’exil en terre étrangère.

- Pour conjurer la catastrophe (la destruction de Jérusalem) YHWH avait envoyé plusieurs prophètes parmi lesquels le rabbin Hillel, Jean le Baptiste et, dernier mais non le moindre, Yeschoua Ben Yossef le Fils de l’Homme qui était parvenu à convertir et sauver un grand nombre d’hommes.

- Mais lui et son enseignement, comme les autres, ne fut pas bien accueilli. Des juifs dénaturés et amis des Romains le condamnèrent à mort sous de fausses accusations. YHWH dans Sa sagesse l’empêcha de mourir, le prenant sur la croix il fut emmené au Ciel comme le prophète Elie, âme et corps, laissant seulement une image que les Romains crurent tuer. Plus tard il pu visiter ses disciples qui le crurent ressuscité. 

- Même après Jésus les juifs continuèrent à pêcher, décidant YHWH à les punir sévèrement. Le Peuple élu serait puni en attendant que Rome, Nouvelle Babylone, connaisse le châtiment. La destruction des villes d’Italie en était le signe annonciateur mais Rome elle-même survivrait encore pour se voir chuter. 

- Pendant ce temps le groupe de Ben Zakkai assumerait les caractéristiques d’un Nouvel Israël. La preuve de leur faveur tenait dans leur survie durant dix ans dans le désert face aux peuples hostiles, à la chaleur, les maladies et la faim, arrivant miraculeusement tous vivants, sans un seul mort, en Arabia Felix.

C’était là le signe de la providence Divine, quelle autre preuve était nécessaire ? 

Ainsi ce sera de leur groupe que naîtra un autre prophète capable de restaurer le royaume d’Israël. Un royaume si puissant et si grand que tous les païens et Rome elle-même, humiliés, enchaînés et sujets au tribut, se soumettront et s’agenouilleront devant son roi. Quand ? Seul YHWH le sait, cela n’avait pas été révélé, même pas à Son dernier prophète et Son préféré, Jésus, même pas à Ben Zakkai, Son modeste instrument, mais cela arrivera. 

Ben Zakkai ne vit pas le retour des fils d’Israël sur le terre, il mourut, plus que centenaire dit-on, trois après leur arrivée en Arabie, en 87 après JC. 

Ses disciples pleurèrent durant trois jours leur maître et guide, puis ils l’enterrèrent au pied d’une montagne qui par sa forme et sa hauteur ressemblait un peu au profil de la colline de Sion, ils orientèrent sa tombe vers Jérusalem, la cité abandonnée mais non oubliée. 

Ses écrits furent trouvés et commentés par ses élèves, qui entre temps étaient tous devenus eux-mêmes des maîtres de la Loi. Ils décidèrent de les ordonner et de les intégrer avec d’autres textes aux Livres Sacrés, tout en distinguant et subordonnant à ceux-ci.

Les enseignements de Ben Zakkai, unis avec les arrangements de ses disciples et à la Tradition orale constitua une somme qui dans les siècles suivants sera désignée comme le Talmud.

Ainsi même après l’installation du Petit Israël, les exilés juifs ne perdirent pas leurs racines et conservèrent les rouleaux des textes amenés avec eux de Jérusalem, convaincus d’appartenir au Nouvel Israël dont naîtra le prophète qui reconstruira le Temple et fera renaître Israël.

De plus un fait important et lourd de conséquences pour le futur advint dans les jours suivants la mort du rabbin Yoannan Ben Zakkai.

Peu avant de mourir le rabbin dit à un de ses disciples, Elie Ben Aaron, d’aller creuser dans un lieu précis non loin de sa tente, qu’il y trouverait une chose d’importance.

Au début Elie pensa que son maître agonisant délirait mais, plus par curiosité qu’autre chose, passés les jours de deuil, il décida d’aller creuser au point indiqué.

Sa surprise fut immense lorsqu’il se rendit compte qu’il y avait réellement quelque chose d’enterré sous faible quantité de sable mêlé de pierres. Aidé de quatre amis appelés en renfort ils mirent à jour une grande et lourde caisse de bois précieux qui semblait très ancienne.

Ils l’ouvrèrent et trouvèrent de nombreux objets, quasiment tous intacts, dont l’importance les fit pâlir. Il y avait deux tablettes de pierre, incisées d’une écriture très ancienne, quasiment illisible, un bâton, des vases contenants une sorte de résine, des rouleaux de papyrus, une couronne, des fragments de tissus et une balance.

Après d’interminables discussions ils convinrent tous de l’objet de leur incroyable découverte. Rien de moins que l’Arche de l’Alliance contenant les tables de la Loi et certains parmi les plus importants de l’histoire d’Israël, le bâton de Moïse, des vases contenant la Manne, des rouleaux de la Torah, la couronne et les fragments de la tunique du roi David et la balance du juste Salomon.

Certains des rouleaux trouvés donnaient des explications sur les vicissitudes de l’Arche. À l’époque du premier siège de Jérusalem par Nabuchodonosor le Grand Prêtre avait reçu un signe de YHWH le sommant de fuir la cité avec l’Arche et la porter dans un lieu qu’il lui indiquerait. Le prêtre protestant de l’impossibilité de la tâche YHWH lui répliqua que de par Sa volonté l’Arche ne serait pas plus lourde qu’une plume et qu’Il ferait que les hommes n’y voient que l’apparence d’un vieux vase. 

Le prêtre resta sans voix mais néanmoins obéit. Tout se passa te que Dieu lui avait prédit. Il porta l’Arche, aussi légère qu’une plume et aussi facile à manipuler que si elle était dotée d’une vie propre, des plus les personnes qu’il rencontrait ne semblaient pas remarquer cette grande caisse.

Le prêtre fuit le Temple avec les précieuses reliques, et le récit des rouleaux s’interrompait à ce moment.

Les questions des disciples de Ben Zakkai furent nombreuses. Comment l’Arche avait finalement été enterrée en cette terre étrangère si éloignée de Jérusalem ?

Pour certains il fut clair que ce lieu avait été indiqué par YHWH au grand prêtre pour qu’eux-mêmes, des siècles plus tard, la retrouvent. D’autres pensèrent que Ben Zakkai lui-même l’avait récupérée de sa cachette non loin de Jérusalem et l’avait conservée jusque là tout ce temps.

.

Mais évidemment venait la question de savoir comment une personne aussi vieille et fatiguée avait pu transporter un poids aussi lourd et encombrant que quatre hommes avaient été nécessaires pour la récupérer, sans que personne ne s’en aperçoive ?

.

Cependant le Grand Prêtre des temps de Nabuchodonosor avait lui-même accomplit pareil exploit avec l’aide de Dieu… Ben Zakkai avait peut être reçu la même aide ?

Ainsi se répandit la rumeur selon laquelle Ben Zakkai, comme le grand prêtre de jadis, avait reçu une vision d’un ange peu avant la destruction du Temple, lui confiant la même mission.

Soutenu par YHWH n’eut aucun mal à transporter une caisse d’apparence aussi lourde et à traverser le désert jusqu’où Dieu voulait qu’elle arriva. 

Cette explication fut la version définitive établit par les disciples et qui se retrouve dans le Talmud.

En vérité les Chrétiens et les païens soutenaient (parfois encore aujourd’hui) une troisième version. Ben Zakkai, arrivé en Arabie, aurait commandé à un artisan de construire une copie exacte de l’Arche et de son contenu, qu’il aurait ensuite écrit de sa main l’histoire du prêtre et qu’enfin il aurait fait enterrer le tout par quelqu’un, le tout en secret. Quelle est la vérité ? Seul YHWH le sait. Quoiqu’il en soit les Juifs interprétèrent cette découverte comme un signe de grande importance, les évènements qui suivirent finirent de les en convaincre.

Bien que les Juifs de Ben Zakkai restaient très réservés sur leurs propres affaires, ils ne réussirent pas à empêcher que se propage la nouvelle de cette mystérieuse découverte comme une tâche d’huile sur les villages. Ainsi la nouvelle atteignit les oreilles d’un brigand, assassin et voleur. Il tenta une nuit de pénétrer dans la tente où le trésor était conservé, tuant les deux gardes. Il ouvrit la caisse et, selon les témoins, la tente fut engloutie par une mer de flammes qui dévora le voleur.

Le bruit qui en résulta fut tel que tous se réveillèrent et accoururent à la tente où ils purent voir les misérables restes fumant du voleur.

Mais sur l’authenticité de cet épisode aussi planent des doutes. Comment la scène a-t-elle pu être aussi bien décrite alors que les témoins de la scène furent le voleur et les gardes, tous trois dans l’incapacité de la raconter.

Toujours est il que l’évènement fut interprété comme une intervention divine et continue d’être considéré ainsi par les Juifs.

Les compilateurs suivants du Talmud ajoutèrent qu’en outre la caisse de l’Arche était parfaitement intacte et ne présentait aucun signe de brûlure ou d’incendie.

Pour témoigner à jamais de l’évènement ils décidèrent de déposer dans l’Arche les fragments endommagés par le feu de l’habit du voleur avec les autres reliques. Vérité ou légende ?

Mais il est un fait qu’après ces évènements les gens du lieu se convertirent en nombre à la Loi, se répandant rapidement parmi les populations semi nomades de la région.

Mais maintenant faisons un retour en arrière pour parler de la manière dans les Juifs ayant fuis Jérusalem entrèrent en contact avec les populations semi nomades qui vivaient en Arabia Félix.

Quand le rabbin Yoannan Ben Zakkai quitta Jérusalem avec les siens il prévoyait initialement de se rendre dans le royaume des Nabatéens, un royaume relativement proche et encore laissé indépendant par les Romains.

Mais il changea d’avis et si dirigea avec son groupe vers une destination encore plus lointaine, le légendaire royaume de Saba. Beaucoup pensaient que ce changement résultait d’une vision qui lui aurait conseillé cette route, en réalité sa décision reposait sur des bases plus rationnelles. Il connaissait l’existence dans les royaumes du Sud de la péninsule arabique de communautés juives conséquentes auprès desquelles il pouvait espérer accueil et assistance.

Arrivés sur place la réalité se révéla toute autre.

Durant le long voyage à travers le désert les fuyards se mêlaient volontiers aux caravanes marchandes. Ces rencontres leurs permettaient de mieux apprendre et de mieux s’orienter dans ces contrées mal connues, ils ne tenaient pas à errer quarante ans comme leurs ancêtres du temps de l’Exode. De plus ils espéraient ainsi réduire les risques de voyager isolés : attaques, vols, razzias. 

Les juifs continuaient pendant tout ce temps à faire leurs prières, leurs jeûnes et leurs repos rituels, attirants la curiosité de leurs compagnons temporaires de voyage. Au fur et à mesure que leur exode se poursuivait ils apprirent à connaître les différents peuples de la région, parfois ils s’arrêtaient dans les oasis ou les cités pour des périodes plus ou moins longues.

Ils découvrirent bien vite que les habitants de l’Arabie ne formaient pas en réalité un seul peuple mais un ensemble de tribus hétérogènes semblables aux anciennes tribus israélites. Ils prirent conscience de la différence qui divisait les peuples du Nord et ceux du Sud (les Sabéens comme ils les appelaient) de la péninsule vers qui ils se dirigeaient.

Ils rencontrèrent de discrètes communautés juives éparses dans les villages, pour la plupart des marchands, des tisserands ou autres. Ces communautés les accueillirent avec joie, partagèrent leur nourriture et leurs maisons. Certains décidèrent même d’abandonner leur vie pour s’agréger aux juifs errants, ils furent bien accueillis par Ben Zakkai. Il y eu quelques, rares, conversions au judaïsme de la part de païens mais elles n’étaient pas encouragées par Ben Zakkai et les siens, essentiellement parce que les rites d’initiation demandaient trop de temps pour leur groupe itinérant.

Au cours de leur voyage au travers de la péninsule ils atteignirent une ville que les gens appelaient « Bakka » qui attirait de nombreux pèlerins de tout le pays.

Cette petite cité abritait une énorme pierre que tous disaient être tombée du ciel par la volonté divine et que tous vénéraient. Avec cette pierre d’autres idoles païennes étaient vénérées, la plus importante était appelée par les habitants « Hubal ».

Ils arrivèrent enfin dans le Sud de la péninsule et s’établirent tous dans un village. Ben Zakkai et les siens durent décider quoi faire de leurs vies.

Avant toutes choses ils entreprirent de nouer des liens avec les juifs locaux, ce leur première étape et la plus facile. Plusieurs se consacrèrent au commerce caravanier, aidés par les nombreux contacts établis lors de leur périple et leurs coreligionnaires déjà engagés dans cette voie. Mais les avis divergeaient sur l’attitude à adopter envers les Arabes païens.

Beaucoup considéraient que leur religion était réservée aux fils d’Israël, que l’on naissait juif et que la conversion était impossible.

Cependant d’autres étaient d’un avis différent parmi lesquels Ben Zakkai lui-même.

Il était personnellement favorable à la diffusion du judaïsme au sein des autres peuples, surtout chez les Arabes qu’il considérait comme un peuple très voisin des anciens Hébreux, d’autant plus que les Arabes étaient censés descendre d’Ismaël, premier fils d’Abraham. Ils étaient donc aptes, s’ils le voulaient, à recevoir la Loi. 

Ainsi Ben Zakkai n’hésita pas à prêcher le judaïsme dans sa forme la plus « progressiste », l’ouvrant aux païens.

Ce bouleversement chez le vieux rabbin trouve ses racines dans le voyage dans le désert et la fin de Jérusalem. Pour lui l’image d’un dieu miséricordieux et bon, disposé au pardon s’imposait de plus en plus. Certains y voient le résultat de la fréquentation régulière des chrétiens du groupe.

Que cela soit ses paroles de sagesse ou la redécouvert de l’Arche de l’Alliance, toujours est-il que les conversions se multiplièrent après la mort de Ben Zakkai pour atteindre quelques années plus tard la majorité de la population villageoise locale, bien que conservant une part non négligeable de païens.

De plus dans les villages alentours se diffusaient les rumeurs de miracles liés aux enseignements du rabbin. Des groupes vinrent d’autres cités arabes plus lointaines pour suivre les leçons et se convertir, entrant de droit dans la communauté. Ces étudiants furent en tel nombre que le village qui accueillait le rabbin et les siens comptait désormais trois synagogues et que d’autres lieux de prières avaient été construits dans les villages voisins. 

Mais à la mort du rabbin les premiers signes de discorde apparurent. Ses disciples, privés de sa férule, commencèrent immédiatement à se disputer sur l’attitude à adopter.

Beaucoup demandaient à grands cris que l’on cesse de prêcher en terre étrangère à des païens, que le moment de retourner en Israël était arrivé maintenant que la situation s’était calmée. Mais la majorité décida de rester sur place, où ils s’étaient mariés avec des femmes du lieu. Ils continuèrent à prêcher et à instruire les païens.

Certains pensaient cependant que leur village était devenu trop petit pour eux tous et que le moment était venu de s’installer dans des cités plus grandes, notamment dans le Nord. Certains enfin voulaient voyager, fatigués de leur vie sédentaire.

En fin de compte ils convinrent qu’il était illusoire de vouloir obliger chacun à rester dans le groupe, même contre leur volonté. Qui voulait partir pouvait le faire mais aucun de devait oublier d’où il venait ou renier son appartenance au Nouvel Israël, même s’il se trouvait à l’autre bout du monde.

Une autre dispute s’éleva à propos de l’Arche d’alliance. Maintenant qu’elle avait été découverte qui devait la conserver ? La plupart pensaient qu’il fallait qu’elle reste là où elle avait été trouvée, dans le village près du lieu où Ben Zakkai avait vécu. D’autres voulaient la rapporter à Jérusalem, ou au moins en Terre Sainte pour servir d’étendard au renouveau d’Israël et à la reconstruction du Temple. Enfin certains pensaient qu’ils devaient la porter à Bakka, ou La Mecque comme on commençait à l’appeler, pour détruire le principal lieu de culte des idoles dans la péninsule et en faire un lieu appartenant au vrai Dieu.

Finalement ils décidèrent que l’Arche ne pouvait résider qu’à Jérusalem mais que les temps n’étaient pas encore venus. Ils décidèrent de la ré enterrer loin des regards indiscrets, dans un lieu secret que seuls les cinq disciples les plus proches de Ben Zakkai connaîtraient et d’où ils ne devraient pas la déplacer avant que le Prophète désigné par le Très Haut ne soit apparu. Les cinq choisis jurèrent de ne jamais révéler cet emplacement à quiconque sauf à leur fils aîné le moment venu, transmettant l’emplacement de générations en générations jusqu’au jour dit. Le jour venu seul le Prophète pourrait décider légitimement du destin de l’Arche.

Une fois passée la période de deuil et réglées les dernières formalités le groupe originel se scinda donc en plusieurs groupes. Cette division fut considérée par beaucoup comme un mal mais en réalité elle fut un bien. Les Juifs suivant la voie de Ben Zakkai se répandirent dans la péninsule arabique, diffusant sur leurs pas leur doctrine.

Outre leur religion les disciples de Ben Zakkai apportèrent aussi un autre élément de leur culture, leur langue. Le petit groupe de Ben Zakkai parlait comme beaucoup d’habitants de la Judée un araméen teinté de grec. Mais au cours de leur périple leur parlé s’enrichit de mots locaux, de caractéristiques particulières, mêlant toutes les langues.

Cela engendra une difficulté particulière. Certains disciples de Ben Zakkai étaient des Juifs issus de la diaspora, ils parlaient donc surtout le grec, l’araméen étant pour eux une langue à moitié oubliée. De plus les Livres Sacrés étaient écrits dans un hébreu archaïque qui semblait encore plus mystérieux et étrange à la plupart.

La barbarisation de la langue commune de départ atténua ce problème et s’accentua avec les années de résidence sédentaire. Quand le groupe se dispersa ils emportèrent donc avec eux les germes d’une langue nouvelle mêlant l’araméen à l’hébreu et au grec de la diaspora. 

Ces longues prémices sur les vicissitudes de Ben Zakkai et des siens étaient nécessaires pour mieux comprendre ce qui allait se passer dans les siècles suivants avec l’expansion glorieuse du judaïsme arabique au travers de son Prophète.

Quasiment cinq cent ans séparaient la mort de Ben Zakkai de la naissance du Prophète et beaucoup de choses s’étaient passées durant ce temps.

.

Permettez moi donc maintenant une digression présentant une vue globale de la situation internationale…

.

Années 70-80 après JC. : En Judée, même après la destruction du Temple et la prise de la forteresse de Massada, le judaïsme n’avait pas disparu.

La majorité des synagogues avaient rouvert après avoir démontrer leur fidélité à Rome. Les doctrines eschatologiques, prédisant la destruction de Rome et la fin des temps furent bannies et leurs fidèles condamnés à mort pour lèse-majesté envers l’empereur. L’enseignement se fit plus prudent et même la venue d’un messie ne fut plus qu’abordée discrètement.

Entre temps l’hérésie chrétienne se diffusait dans le reste de l’empire auprès des païens. Malgré les premières persécutions du pouvoir romain leur nombre commença à croître et leur prosélytisme se renforça. 

Au fur et à mesure que cette nouvelle doctrine se diffusait auprès des païens les différences avec le judaïsme émergèrent et s’élargirent. Alors que l’on pouvait auparavant être juif et chrétien les deux courants constituaient désormais deux religions distinctes.

101-106 après JC. : L’empereur romain Trajan annexe à l’empire le royaume nabatéen d’Arabie Pétrée, contrôlant une petite part de la péninsule arabique.

Les juifs descendants des disciples de Ben Zakkai qui s’étaient installés le plus au Nord redevinrent donc des sujets des Romains. Cela eut pour conséquence de remettre en contact les exilés avec leurs frères de la diaspora restés dans l’empire. Ainsi quelques années plus tard la version du judaïsme de Ben Zakkai se diffusa discrètement dans l’empire, opérant même des conversions auprès des païens mais devenant les rivaux des chrétiens.

115-117 après JC. : Deuxième révolte juive. Malgré les enseignements de Ben Zakkai prônant la modération et la tolérance peu de personnes au sein du judaïsme adoptèrent cette attitude. La majorité considérait que le jour du Jugement était proche. C’était la mentalité qui prévalait notamment chez les Juifs de la diaspora et ce furent eux qui animèrent la fameuse deuxième révolte juive, provoquant des désordre et des violences dans de nombreuses cités hellénisées comme Alexandrie d’Egypte, Cyrène ou Chypre où les communautés juives, grecques et romaines s’affrontèrent.

Trajan réprima dans le sang tout opposition à l’empire.

Dans ce contexte les juifs et les chrétiens qui suivaient la réforme de Ben Zakkai se tinrent généralement dans la neutralité et furent pour la plupart tolérés par les autorités romaines.

132-135 après JC. : Troisième et dernière révolte juive. L’explosion de violence fut provoquée par un édit de l’empereur Hadrien qui interdisait la circoncision dans l’empire. Mais d’autres affirment que le motif premier fut le projet de l’empereur de reconstruire Jérusalem sur le modèle des cités païennes.

Cette révolte était dirigée par un prétendu messie nommé Simon Bar Kochba, inspiré par le rabbin Akiba. Elle se conclua dans des torrents de sang, on dit qu’il y eu au moins 580 000 victimes parmi les juifs. Jérusalem, rebaptisée Aelia Capitolina devint une cité païenne avec un temple à Jupiter. Il fut interdit aux juifs d’y résider.

Ces évènements tragiques eurent de nombreuses conséquences sur la doctrine. Le judaïsme réformé du rabbin Yoannan Ben Zakkai fut plus largement accepté comme seule doctrine permettant de vivre en paix. Le judaïsme perdit progressivement son image de fermeture et d‘exclusivité, devenant une religion plus universaliste.

De plus cette doctrine ramenait la naissance d’un messie à une époque assez éloignée dans le futur. Laissant les temps présents dans la paix.

269-270 après JC. : L’empire romain subit depuis la chute de la dynastie des sévères une crise de son autorité. Zénobie, reine du royaume de Palmyre, comprenant une partie de la péninsule arabique, tenta de s’emparer de tout l’Orient romain, Egypte compris et manqua de peu de réussir. Mais ses conquêtes furent éphémères.

272 après JC. : Un nouvel empereur fort a émergé chez les Romains, Aurélien, il défait Zénobie et la fera paraître enchaînée lors de son triomphe à Rome et la gardera comme prisonnière de luxe.

Bien que brève l’aventure de Zénobie avait soulevé un certain enthousiasme chez les juifs d’Arabie. Parmi eux certains participèrent à la lutte, combattant comme soldats dans l’armée palmyrénienne. Elle réussit surtout à ébranler le mythe de l’invincibilité romaine. Rome avait été presque vaincue par une femme, ils n’étaient donc pas invincibles, l’espoir de voir leur empire céder un jour était possible.

Zénobie termina ses jours dans une splendide villa de Tivoli, en Italie, mariée à un sénateur, mais ses rêves d’Orient indépendant moururent avec elle. Dans le Talmud elle apparaît comme un personnage héroïque, une sorte de deuxième Déborah.

284 après JC. : La crise militaire de l’empire romain reprit après la mort d’Aurélien. Seul l’empereur Dioclétien, élu empereur en cette année parut apporter une amélioration durable.

Dans sa tentative de restauration de l’autorité impériale, Dioclétien impose une vaste réforme de l’Etat. L’empire fut divisé en quatre parties et les empereurs devenaient des êtres divins à qui il fallait sacrifier en public, une exception partielle fut concédée aux juifs. Des réformes fiscales et militaires suivirent.

Mais l’évènement le plus perturbant de son règne furent les grandes persécutions ordonnées en 303 après JC. contre les chrétiens après des années de relative tolérance.

Ces persécutions eurent lieu essentiellement en Orient où les chrétiens étaient les plus nombreux. Les églises furent fermées ou détruites, les livres sacrées confisqués, obligation était faite de les remettre aux autorités (« tradere » en latin d’où le terme de « traître »).

306-311 après JC. : Le système de Dioclétien, la tétrarchie, entra rapidement en crise, un an après l’abdication de son fondateur. L’Orient et l’Occident, qui devenaient de plus en plus différents, se défiaient au travers de bien cinq prétendants. Finalement ce fut Constantin, que l’on surnomma « le grand » qui, 28 octobre 312, à la célèbre bataille du pont Milvius s’empara de Rome et de l’Occident en éliminant Maxence, son rival.

Selon la légende l’empereur fut visité par un songe à la veille de la bataille. Jésus lui serait apparu pour lui ordonner de porter le signe ses chrétiens sur ses armes et étendards afin de remporter la victoire.

La volonté de YHWH est impénétrable mais la victoire de Constantin mena à l’édit de tolérance de Milan qui mit fin aux siècles de persécutions contre les chrétiens.

321 après JC. : Le Synode d’Alexandrie, rassemblant les chrétiens d’Orient condamne alors le prêtre Arius, jugé blasphémateur et hérétique. Arius professait et enseignait une forme particulière de christianisme qui niait la trinité et faisait du Christ un être inférieur à Dieu, adopté par ce dernier et non engendré. Arius élabora ces théories sans doute au contact de ses amis juifs réformés dont les idées s’en approchaient. Les idées d’Arius représentaient une voie médiane entre le christianisme et le judaïsme réformé.

Mais sa doctrine fut déclarée hérétique, condamnation réitérée en 325 après JC. lors du concile œcuménique de Nicée, patronné par Constantin lui-même. Elle connu cependant un fort succès en Afrique du Nord et parmi les peuples barbares.

Un an après Nicée Constantin éliminait son dernier rival, Licinius, devenant seul et unique empereur romain.

326 après JC. : Constantin lance son projet de déplacer la capitale de l’empire, de fonder une nouvelle Rome qu’il situe sur les bord du Bosphore. Les travaux durèrent quatre ans et s’achevèrent en 330 après JC. La nouvelle cité, Constantinople, devint le nouveau centre du monde romain.

[En cours d’élaboration]

Never75


Retour